La découverte des pensées automatiques

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La découverte des pensées automatiques

Pascal Patry astrologue et thérapeute à Strasbourg 67000
Publié par Pascal Patry dans Psychothérapie · 17 Mai 2022
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La découverte des pensées automatiques

Je vais expliquer ma conception du rôle de la cognition dans les troubles émotionnels et en psychothérapie par une note autobiographique. J’ai pratiqué la psychanalyse et la psychothérapie analytique pendant de nombreuses années avant d’être frappé par le fait que les cognitions du patient avaient un impact énorme sur ses sentiments et son comportement.

Tous mes patients recevaient comme consigne de base la règle de la libre association ( « On demande au patient de dire tout ce qui lui vient à l’esprit, sans choisir » et la plupart avaient bien appris à surmonter leur tendance à censurer les idées.

Ils exprimaient assez facilement les pensées, les désirs et les expériences qu’ils avaient dissimulés à d’autres personnes par peur d’être désapprouvés.

Tout en admettant que mes patients ne pouvaient probablement pas rapporter toutes leurs pensées, j’étais convaincu que leurs verbalisations représentaient un excellent échantillon de leur idéation consciente.

Avec le temps, cependant, j’ai commencé à me douter que les patients ne rapportaient pas certains types d’idéation. Cette omission n’était pas le fait d’une résistance ou de mécanismes de défense mis en place par le patient, mais elle avait plutôt à voir avec le fait que les patients n’étaient pas entraînés à se concentrer sur certains types de pensées.

A posteriori, il m’apparaît que les types d’idéation demeurés inaperçus sont en fait essentiels pour la compréhension de la nature des problèmes psychologiques. Il est possible que d’autres psychanalystes aient pu mettre à jour ce type de matériel particulièrement riche, mais cela n’a pas été signalé en tant que tel dans la littérature.

L’expérience suivante a suscité mon intérêt et mes recherches ultérieures dans le domaine de ce matériel non verbalisé.

Au cours d’une séance de libre association, un patient me critiquait et exprimait de la colère. Après une pause, je lui ai demandé ce qu’il ressentait. Il m’a répondu : « Je me sens très coupable. »

Sur le moment, j’ai été satisfait, car je comprenais la suite des événements psychologiques. Selon le modèle psychanalytique conventionnel, il existait une relation simple de cause à effet entre sa colère et le sentiment de culpabilité : son hostilité à mon égard le conduisait directement à ressentir de la culpabilité.

Toujours selon le schéma théorique, il était inutile d’interposer un quelconque lien supplémentaire dans l’enchaînement.

Mais ensuite, le patient apporta spontanément l’information suivante : tout en m’exprimant ses critiques chargées de colère, il présentait également des pensées continuelles, de nature autocritique. Il décrivit deux courants de pensées concomitants : un premier courant ayant trait à son hostilité et ses critiques, qu’il avait déjà exprimés dans la libre association ; et un second courant, qu’il n’avait pas encore exprimé.

Il me rapporta alors ce deuxième courant de pensées : « Ce que j’ai dit est une erreur… Je n’aurais pas dû dire ça… J’ai tort de le critiquer… Je suis une mauvaise personne… Il ne va pas m’aimer… Je suis méchant… Je n’ai aucune excuse pour tant de méchanceté. »

Ce cas se présenta à moi comme le premier exemple bien défini d’un train de pensées circulant en parallèle au contenu de pensées rapporté. Je compris qu’il existait une série de pensées qui reliait l’expression de colère du patient à son sentiment de culpabilité.

Non seulement l’idéation intermédiaire était identifiable, mais aussi elle rendait compte du sentiment de culpabilité : le patient se sentait coupable parce qu’il se critiquait lui-même de s’être mis en colère contre moi.

Par la suite, lorsque j’ai fait des vérifications avec d’autres patients qui avaient suivi la règle de la libre association pendant des mois ou des années, j’ai découvert qu’ils avaient eux aussi des courants de pensées qui n’avaient pas été rapportées. À la différence du premier patient, cependant, beaucoup d’entre eux n’étaient pas totalement conscients de ces pensées non rapportées, sauf s’ils se mettaient à se concentrer sur elles. Typiquement, ces pensées différaient de l’idéation rapportée par le fait qu’elles apparaissaient de façon automatique et qu’elles étaient très rapides.

Pour explorer les pensées non exprimées, il me fallait guider les patients en leur demandant d’être particulièrement attentifs à certaines idées afin de me les rapporter ensuite. Ce changement dans l’attention s’avérait être très révélateur, comme va l’illustrer le cas suivant.

Une femme, qui ressentait de façon constante de l’anxiété au cours des séances de thérapie, décrivait des problèmes sexuels délicats. En dépit d’une légère gêne, elle verbalisait ces difficultés librement et sans les censurer. Comme la cause de cette anxiété permanente en séance ne m’apparaissait pas clairement, je décidai de diriger son attention vers les pensées qui lui venaient à propos de ce qu’elle disait.

Elle réalisa, en répondant à ma demande, qu’elle avait ignoré ce courant d’idéation. Puis elle rapporta la séquence de pensées suivante : « Je ne m’exprime pas de façon claire… Il en a assez de moi… Il n’arrive probablement pas à suivre ce que je raconte… Ça doit lui paraître complètement fou… Il va sûrement essayer de se débarrasser de moi. »

Quand la patiente s’est concentrée sur ce type de pensées et qu’elle me les a rapportées, son anxiété chronique au cours des séances de thérapie a commencé à avoir du sens. Sa gêne n’avait rien à voir avec les conflits sexuels qu’elle avait décrit. Mais ses pensées, d’autoévaluation et d’anticipation de mes réactions, me dirigeaient vers l’essentiel de son problème. Bien qu’elle sache parfaitement s’exprimer et de façon intéressante, elle présentait en permanence des pensées dont le thème était son manque d’intérêt et ses difficultés d’expression.

Après qu’elle eut réalisé ses pensées non réalistes et qu’elle les eut corrigées, elle ne fut plus jamais anxieuse au cours des séances.

J’ai remarqué au départ que les pensées automatiques de mes patients apparaissaient être de nature transférentielle. C’est-à-dire qu’elles concernaient l’évaluation par le patient de ce qu’il me disait ou de ce qu’il avait l’intention de me dire en séance et la façon dont il s’attendait à ce que je réagisse envers lui. Par la suite, les patients reconnaissaient qu’ils avaient également eu ce type de pensées au cours de leurs interactions avec d’autres personnes.

Il devint progressivement évident que les patients, sans qu’ils le réalisent, étaient en communication constante avec eux-mêmes, aussi bien en dehors de la thérapie qu’au cours de nos séances. En se réglant sur ce langage intérieur, il nous devenait possible d’obtenir une définition plus précise des problèmes clés du patient. La femme qui pensait qu’elle m’ennuyait reconnut qu’elle avait des pensées semblables au cours de la plupart de ses relations interpersonnelles.

Afin de pouvoir exploiter la richesse de cette source d’information, il était nécessaire d’entraîner les patients à observer le courant des pensées non rapportées. Comme ma découverte initiale avait été que ces pensées
non rapportées précédaient un état émotionnel, je donnai aux patients la consigne suivante : « chaque fois que vous vivez une sensation ou un sentiment désagréable, essayez de vous souvenir des pensées que vous avez eues avant ce sentiment ».

Cette instruction les a aidés à aiguiser leur conscience au sujet de ces pensées, et ils ont fini par identifier ces pensées avant de ressentir une émotion. Comme ces pensées s’avéraient survenir automatiquement et de façon très rapide, je les ai appelées « pensées automatiques ». Ainsi que nous le verrons dans les chapitres suivants, la mise en évidence des pensées automatiques a fourni le matériel nécessaire à la compréhension des états émotionnels et de leurs troubles.

Ces observations de pensées automatiques conduisaient à un dilemme. En accord avec ma formation de psychanalyste, mes patients avaient suivi la règle de base et avaient exprimé le type de matériel habituellement rapporté par les patients en psychanalyse.

Ce fait était confirmé par mes superviseurs de l’institut de psychanalyse qui avaient revu avec moi les enregistrements de libre association de mes patients. Pourtant, la méthode habituelle qui insiste sur la libre association, sur le dépassement de la censure, sur l’interprétation des résistances, n’avait pas obtenu de pensées automatiques (à l’exception des cas rapportés ci-dessus).

En examinant davantage ce problème, j’en ai conclu que mes patients ne s’étaient pas réellement concentrés de façon efficace sur leur courant de conscience. Ils avaient présenté du matériel en rapport avec leurs problèmes actuels, leurs rêves, leurs souvenirs ; ou bien ils avaient fait le récit de leurs expériences ; ou bien ils étaient passés d’une idée à une autre, en suivant des associations en chaîne. Mais ils ne s’étaient pas concentrés pour rapporter leurs pensées.

Finalement, il devint apparent que l’essentiel de leurs récits était basé sur des conjectures à propos de ce qu’ils « devaient penser » et qu’ils n’étaient pas le fruit d’une concentration active sur ce qu’ils étaient réellement en train de penser.

Pourquoi la libre association conventionnelle est-elle incapable de révéler ces pensées automatiques ? Il est possible que cela vienne du fait suivant : les gens sont habitués à se parler à eux-mêmes d’une certaine façon, et à parler aux autres d’une manière différente.

Même si ces signaux internes exercent une influence considérable sur lui-même, le patient passe sa vie à ne pas y attacher d’importance. Lorsque, de façon incessante, celui-ci interprète (parfois de façon erronée) les événements, qu’il contrôle son propre comportement, qu’il fait des prédictions, qu’il fait des généralisations à partir de lui-même, il est en constante communication avec lui-même.

Ce n’est ni l’anxiété ni la honte qui le détourne de rapporter ces pensées. Il s’agit en fait, soit d’un manque de conscience de ses pensées automatiques, soit d’un manque de considération vis-à-vis de la pertinence de telles pensées. Ce n’est que lorsqu’on lui donne la consigne de s’intéresser tout particulièrement à ces pensées qu’il sera susceptible de les rapporter.

Lorsque le trouble du patient est plus sévère - comme dans la dépression -, ces pensées sont davantage saillantes. C’est d’ailleurs en cherchant à susciter les contenus de pensées de patients gravement déprimés que je suis parvenu à être conscient de leur existence. J’ai également remarqué que les pensées automatiques étaient particulièrement contraignantes dans l’idéation des patients obsessionnels.

Nature des pensées automatiques

À la suite de l’intérêt qu’ont suscité en moi les pensées automatiques, j’ai systématiquement demandé aux patients de les observer lors de la libre association et de me les rapporter. Je les ai également incités à enregistrer les pensées de cette nature qui pouvaient survenir en dehors des séances de thérapie. En prenant connaissance de la description de ces pensées par les patients, j’ai été frappé par les similitudes présentes dans les rapports des différents patients.

D’un point de vue pratique, l’identification explicite des pensées automatiques me dispensait - ainsi que le patient - de devoir deviner à quoi « il pouvait bien penser » et rendait possible de définir avec une grande précision ce qu’il était réellement en train de penser. Je vais illustrer ce principe par un autre exemple de cas.

Une femme, au cours de la libre association, me parlait d’un film qu’elle avait vu. En décrivant l’intrigue de ce film, elle déclara se sentir anxieuse. Lorsque je lui demandai pourquoi, elle répondit : « Je suppose que c’est dû au fait que les scènes d’agression me bouleversent toujours. » Elle était poussée à cette supposition par la notion, qu’elle tenait de la théorie psychanalytique, selon laquelle l’agression provoque de l’anxiété.

Lorsque je lui demandais s’il lui était venu un autre train de pensée juste avant de remarquer cette anxiété, elle répondit : « Ça y est, j’y suis ! J’ai eu la pensée que vous deviez sûrement me critiquer pour avoir perdu mon temps à aller au cinéma. C’est cela qui m’a rendue nerveuse. »

J’ai remarqué de façon répétitive que, tant qu’un patient n’a pas reçu l’instruction de se concentrer sur ses pensées automatiques, celles-ci sont fréquemment ignorées, négligées. Cependant, en leur accordant son attention, il parvient à les identifier. Comme on l’a déjà indiqué, plus un patient est perturbé, plus les pensées automatiques sont évidentes. Lorsque le patient s’améliore, les pensées automatiques deviennent moins évidentes ; si son état se dégrade, les pensées redeviennent plus apparentes.

Les pensées automatiques rapportées par de nombreux patients présentaient des caractéristiques communes. Elles n’étaient, en général, ni imprécises ni informulées, mais plutôt spécifiques et discrètes. Elles se présentaient sous un style télégraphique, où seuls les mots essentiels de la phrase apparaissaient.

De plus, ces pensées n’étaient pas le fruit d’une délibération, d’un raisonnement ou d’une réflexion sur un sujet ou un événement. Elles n’étaient pas les étapes d’une séquence logique de résolution de problème ou d’une pensée dirigée vers un objectif. Ces pensées étaient « simplement là », comme par réflexe.

Elles semblaient être relativement autonomes, dans la mesure où les patients ne faisaient aucun effort pour les initier et, en particulier chez les sujets les plus perturbés, il leur était difficile de s’en débarrasser. Eu égard à leur caractère involontaire, on aurait tout aussi bien pu les qualifier de « pensées autonomes », plutôt que de pensées automatiques.

Par ailleurs, les patients avaient tendance à considérer ces pensées comme plausibles, raisonnables, alors que, pour quelqu’un d’autre, elles auraient pu paraître « tirées par les cheveux ». Les patients en acceptaient la validité comme indiscutable et sans en vérifier la réalité ou la logique.

Bien sûr, la plupart de ces pensées étaient réalistes. Mais le patient avait souvent tendance à croire en des pensées non réalistes même s’il avait déclaré lors d’un précédent entretien qu’il les considérait comme non valables.

Après avoir pris le temps de réfléchir à leur validité ou d’en discuter avec moi, il concluait qu’elles n’étaient pas valables. Cependant, à la prochaine occurrence de cette même pensée automatique, il aurait tendance à l’accepter comme tout à fait valable.

Ces pensées étaient d’une formulation textuelle qui variait selon les circonstances, mais elles présentaient généralement le même thème. Ce n’était pas le genre de pensées répétitives que l’on rencontre typiquement chez des patients atteints de névrose obsessionnelle.

Selon la personne avec qui il était, tel patient dépressif pouvait avoir les pensées que sa mère était critique à propos de son comportement ou de sa tenue vestimentaire, ou bien que son employeur le trouvait inefficace au travail, ou que sa femme n’aimait pas sa façon de lui faire l’amour, ou encore que son thérapeute le trouvait peu intelligent. Ces pensées négatives survenaient en toute contradiction de la réalité objective.

Aussi répétitive que soit l’expérience en faveur du contraire, le patient continuait à les avoir en tête, jusqu’à ce qu’il eût guéri de sa dépression.

Je remarquai également que le contenu des pensées automatiques, notamment les plus répétitives et apparemment les plus envahissantes, était idiosyncrasique. Elles avaient tendance à être spécifiques non pas uniquement à un patient donné, mais aussi à d’autres patients partageant le même diagnostic.

Les pensées étaient liées aux problèmes du patient et, par conséquent, étaient plus utiles en psychothérapie que la majeure partie du récit rapporté par le patient en « libre association ».

Comme on l’a déjà précisé, ces pensées précédaient l’activation de l’émotion. Dans le cas cité plus haut, l’anxiété de la patiente était déclenchée par ses pensées automatiques, et non par ses réflexions sur le contenu réel du film qu’elle regardait. Enfin, ces pensées mettaient généralement en jeu une distorsion de la réalité plus importante que dans le cas de pensées d’autres types.

Il devint évident, dans mon travail ultérieur avec les patients, que les signaux internes, qu’ils soient verbaux ou visuels, jouaient un rôle significatif dans le comportement. La façon dont une personne s’écoute ou se donne des instructions, se félicite ou se critique, interprète les événements et fait des prévisions, explique non seulement le comportement normal, mais aussi éclaircit le fonctionnement interne dans les troubles émotionnels.

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Aaron Temkin Beck - Fondateur du courant de psychothérapie cognitive - A reçu l'équivalent du prix Nobel de médecine pour ses travaux (Prix Lasker).




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Pascal Patry
Praticien en psychothérapie
Astropsychologue
Psychanalyste

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