La pratique clinique

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La pratique clinique

Pascal Patry astrologue et thérapeute à Strasbourg 67000
Publié par Pascal Patry dans Psychologie · 8 Mai 2022
Tags: Lapratiqueclinique
La pratique clinique

1 - La disposition d'esprit clinique
2 - La souffrance psychique et la question de la demande
3 - Transfert et séduction
4 - Déplacement du transfert
5 - La méthode ou comment avoir du « répondant » ?
6 - L'associativité et le transfert sur la méthode

La disposition d’esprit clinique

Fondamentalement, ce qui caractérise la pratique clinique est d’abord un « état d’esprit », une attitude interne du clinicien, dont nous avons dit au chapitre précédent qu’elle consistait à se mettre au chevet du fonctionnement psychique du sujet rencontré en situation clinique.

Nous venons d’évoquer une série de premières considérations concernant la rencontre clinique et ce qui la fondait, il nous faut maintenant continuer de creuser et d’approfondir les opérations psychiques qui rendent possible la mise au chevet en question.

Il ne suffit pas en effet de décréter que le clinicien est celui qui se met au chevet du fonctionnement psychique du sujet qu’il rencontre, il faut encore examiner dans le détail ce que cela implique, comment une telle attitude est possible, quelles sont ses opérations et opérateurs fondamentaux, quelle « stratégie » et quelles « tactiques » elle implique.

Mais une telle réflexion a un préalable, un préalable éthique : qu’est-ce qui fonde le clinicien à mettre en œuvre les conditions d’une rencontre clinique, et qu’est-ce qui fait qu’il peut prétendre aboutir à des réflexions cliniques pertinentes ?

On peut toujours en effet décider de « se mettre au chevet du fonctionnement psychique » de l’autre, et cela même dans la vie courante, ou moins croire que l’on se met ainsi au chevet du fonctionnement psychique de l’autre, sans pour autant faire œuvre de cliniciens, il y a d’autres conditions pour qu’une telle démarche soit fondée.

Se mettre à l’écoute du fonctionnement psychique de l’autre sans dispositif spécifique est un jeu auquel les étudiants ou les jeunes professionnels s’adonnent volontiers, jeu d’exploration de la position clinicienne, c’est aussi une attitude défensive que l’on trouve encore parfois chez des cliniciens plus avancés, un jeu parfois à la mode dans les sociétés de cliniciens voire de psychanalystes, ce qui ne veut pas dire qu’il soit fondé ni qu’il aboutisse à autre chose qu’à l’imputation d’un sens « plaqué ».

Comme Freud le soulignait dans son article consacré à « l’analyse sauvage », c’est-à-dire l’analyse « hors cadre », une telle attitude, quand elle se prend pour autre chose qu’un jeu, le « jeu du psy », ne témoigne souvent que d’un manque de tact social, qu’un non-respect des règles de la rencontre humaine, que celui qui s’y livre ait reçu une formation clinique ne change rien à l’affaire ni au peu de pertinence que l’on peut attendre des résultats d’une telle démarche. L’utilisation d’un « supposé savoir » clinique pour tenter assurer son pouvoir sur l’autre n’est rien d’autre qu’une technique d’emprise qui utile l’alibi de la psychologie ou de la psychanalyse pour se masquer.

Pour qu’une « mise au chevet » soit cliniquement pertinente un certain nombre de conditions doivent être remplies et respectées. Comme nous le verrons, si la réalité psychique est hypercomplexe la pratique clinique est aussi hypercomplexe, elle n’aboutit la plupart du temps qu’à des hypothèses qui n’ont de validité qu’en raison des effets libérateurs de la générativité associative qu’elles produisent. Nous reviendrons longuement plus loin sur l’associativité.

La souffrance psychique et la question de la demande

Pour commencer à examiner les conditions en question, je me propose de commencer par revenir sur ce qui fonde la possibilité d’une rencontre clinique : un pan de la réalité psychique inconsciente d’un sujet est en souffrance de symbolisation et d’intégration, il se présente comme une forme de négativité en acte pour la subjectivité, c’est-à-dire soit un non-pensé, un non-dit, un non-senti, un non-vu, un non-réfléchi, et donc un non-métabolisé et un non-approprié.

C’est cette négativité en acte, quand elle est adressée à un praticien qui est à l’origine du processus transférentiel et fonde la possibilité d’une pratique clinique. Le processus inconscient se présente au sujet comme une énigme agissante (agieren), ce que je viens de nommer « négativité en acte », sa présence et son action provoquent une souffrance narcissique, elle-même consciente ou préconsciente, potentielle, elle échappe à la maîtrise du sujet et elle le blesse.

Plus généralement, la présence d’une vie psychique inconsciente menace l’identité, la blesse, ou blesse son image d’elle-même. Par elle, le sujet est et n’est pas identique à lui-même et ses productions sont et ne sont pas identiques à elles-mêmes, il se heurte à l’aspiration narcissique (et « réaliste ») d’une identité à soi qui tendrait à réduire l’écart, dans la relation à soi et à l’autre, entre soi et soi, il ne se reconnaît pas ou ne reconnaît pas ce qu’il aspire à être.

C’est cette souffrance qui met en mouvement le fonctionnement psychique du sujet, qui met en mouvement un fonctionnement psychique pour tenter, au nom du principe du plaisir/déplaisir, de réduire le désagrément qu’elle produit.

Ce qui de soi est condamné (par la souffrance des traumatismes et les mécanismes de défenses qu’elle implique) mais toujours actif, en manque d’inscription psychique intégrable, de statut convenable pour le sujet, « fait appel » de sa condamnation à l’obscurité psychique, au non-lieu dans lequel elle est confinée.

En effet, quand les mécanismes de défenses et d’aménagements sont efficaces et conviennent au sujet, la part de lui inconsciente reste relativement silencieuse, elle ne provoque pas de souffrance psychique à proprement parler, pas de souffrance psychique éprouvée comme telle dans le présent du sujet, elle ne fait pas « appel » de ce qui est condamné.

Quand les défenses et aménagements ne conviennent pas, qu’ils sont en échec plus ou moins partiel, alors cette énigme, cet écart de soi à soi, « produit » la figure idéale de sa réduction, cherchée en soi et au-dehors de soi.

Elle implique la figure complémentaire d’un Autre, d’un répondant, d’un autre sujet supposé entendre, voir, sentir, comprendre, partager, reconnaître, etc. ce que le sujet ne peut assumer de sa vie psychique.

Cette figure est celle que Lacan a nommée « sujet supposé savoir », mais à mon sens elle n’implique pas que la question du savoir.

Le manque, la béance de soi à soi, implique donc la production d’une figure plus ou moins marquée d’idéal, celui d’un sujet supposé complet, ou tout le moins de ce que je propose de nommer, dans la polysémie du terme, un « répondant », elle suppose un appel à lui adresser, et un espoir, celui de trouver les conditions d’un effacement ou d’une reprise et d’une relance de ce qui est resté en rade dans son histoire subjective.

Cet appel adressé, cette « demande », manifeste ou latente, consciente ou inconsciente, constitue le premier fondement de la pratique, c’est la première forme de base du transfert, c’est sa présence qui fonde la possibilité d’une rencontre clinique, d’une mise au chevet clinique du sujet.

Les formes de cette « demande », ou plutôt de cet appel, peuvent varier, elles dépendent du rapport que le sujet entretient avec l’énigme qui l’habite, la perte de maîtrise qu’elle implique et la souffrance qu’elle comporte, et enfin la figure de l’Autre qu’elle implique.

La blessure peut-être acceptée, elle peut faire l’objet d’une demande, être constituée comme « signe », symptôme d’une souffrance qui peut être adressée à un autre, voire à un Autre. Elle peut être insérée dans une « théorie du mal » et une « théorie du soin » élaborées par le sujet, elle organise alors l’objet et le type de demande que le sujet peut adresser.

Ou elle peut être confusément reconnue, montrée plus que dite et formulée, en attente d’être vue et reconnue, en quête d’un répondant pour être reconnue.

Mais elle peut aussi être refusée, déniée, et avec elle le rapport au répondant potentiel et la demande ou l’appel à lui adresser, mais être impliquée dans le comportement et l’empathie qu’il suscite chez l’autre, comme les appels muets contenus dans certaines formes de détresse.

Elle peut aussi ne pas avoir pu s’organiser et se formuler.

Pour formuler une demande, émettre un appel, il faut avoir déjà eu antérieurement l’expérience d’une rencontre qui reconnaît et soulage la souffrance, l’apaise, et ce n’est pas toujours le cas, du moins de manière suffisamment significative.

Mais il faut aussi supporter l’idée de la dépendance dans laquelle la demande place le sujet, et pour supporter cette dépendance il faut qu’elle reste relative, mesurée, limitée.

L’anticipation d’une dépendance trop importante, potentiellement donc aliénante, qui risque de livrer le sujet pieds et poings liés à son répondant, freine la possibilité de faire une demande et pousse le sujet à organiser d’autres formes d’appels, celles dans lesquelles il se sent moins « compromis », moins engagé, celles dont il peut espérer se dégager plus facilement et à moindre coût.

Une particularité doit cependant retenir notre attention : que le sujet soit en mesure de formuler une demande ou qu’il ait recours à des formes d’appel qui en contourne la formulation, à partir du moment où se fait sentir en lui l’action d’un pan énigmatique de sa vie psychique, la figure du répondant est impliquée et elle se cherche un représentant, le transfert a lieu, se cherche un lieu d’accueil, que ce soit pour lui adresser une demande, le provoquer ou l’attaquer.

L’offre d’une rencontre clinique (ou le dispositif qui l’incarne), fonctionne alors comme un « attracteur » pour l’adresse transférentielle.

Elle n’est pas la seule à représenter un tel « pouvoir attracteur » et il ne faudrait pas croire que l’adresse transférentielle est réservée aux cliniciens ou d’une manière générale aux « soignants », c’est là son lieu le plus commode de réception pour l’élaboration mais pas nécessairement son lieu le plus fréquent d’adresse. Tout dépend de la « théorie du soin » impliquée par le vécu de manque ou de souffrance du sujet, c’est elle qui détermine « l’objet » à qui adresser le transfert.

L’une des « théories du soin » les plus fondamentales (c’est un dérivé des théories sexuelles infantiles), les plus fréquentes tient dans l’idée que la sexualité ou l’amour « soignent », et ceci avec plusieurs variantes possibles selon le registre pulsionnel engagé. La collusion du soin et du sexe est exemplairement incarnée dans le jeu typique du « docteur » auquel ont joué tous les enfants du monde ou peu s’en faut. Le « jeu » du docteur, tous les parents le savent ou le pressentent, est un alibi à l’exploration des deux grandes questions liées à l’impact du principe du plaisir-déplaisir sur la psyché, la question du sexuel et la question de la souffrance et du soin à lui apporter, et celle du lien entre les deux.

Quand Freud se penche sur les événements qui ont pu présider à sa découverte de l’importance du sexuel dans la névrose, il lui revient en mémoire une parole du Dr Schrobach qui, au sortir d’une consultation auprès d’une patiente réputée hystérique, proposait de lui rédiger une ordonnance ainsi libellée : « pénis normalis, dosim repetatur ».

C’est un poncif social de dire que les hystériques sont des « refoulées » et qu’elles doivent être soignées par des « doses renouvelées de pénis masculin ». Le théâtre de boulevard regorge de situations où madame à ses « vapeurs », ses « coups de blues » et monsieur… la « console ».

C’est aussi une des choses que la vulgate a le mieux retenues de la psychanalyse et du « transfert » qui la traverse, le transfert trouve une de ses sources et l’un de ses ressorts dans l’amour, et même dans l’amour sexualisé. Mais il y a d’autres « théories du soin » et d’autres destins au processus transférentiel.

Transfert et séduction

Si le dispositif clinique est loin d’être le seul « attracteur » du transfert, par contre il est le seul qui tende à organiser celui-ci en une forme symbolisable et « analysable », le seul à s’organiser autour de la mise au travail de l’énigme qui l’habite, le seul à fonder sa pratique sur l’uti-lisation du transfert pour le « déconstruire ».

La disposition d’esprit du clinicien se fonde aussi sur la reconnaissance du fait que l’on n’échappe pas à la question du transfert et à ses effets, en particulier ceux qui concernent ce que l’on nomme la « séduction ».

Cette remarque qui peut en choquer plus d’un appelle commentaire.

Ce que l’on appelle « séduction » est une manière de dévoyer le processus au seul bénéfice de celui à qui il s’adresse en perdant le but premier en route, « séduire », « seducere », c’est détourner du chemin, du bon chemin.

Et donc il est commun dans le monde des cliniciens de souligner les dangers de la séduction et de tenter de s’organiser contre la tentation de l’abus de pouvoir potentiel que favoriserait le fait de devenir « objet transférentiel » d’un sujet vulnérabilisé par sa position.

Nous avons évoqué plus haut la crainte de la dépendance de certains sujets, elle est précisément liée à cette menace toujours présente quand on se sent vulnérable et dans le besoin de l’autre, précaire donc.

Il va de soi que le clinicien doit être attentif à ne rien faire qui aille dans le sens d’une séduction délibérée et volontaire, que son éthique fondamentale requiert qu’il soit vigilant à ne pas favoriser toute forme d’abus de sa position. Mais penser qu’on a ainsi réglé la question de la séduction relève d’une naïveté qui méconnaît la nature même du processus transférentiel.

Les effets de « séduction » ne dépendent, en effet, qu’en partie de ce que fait ou dit le clinicien, car ils sont inhérents au processus transférentiel lui-même, c’est-à-dire à la place dans laquelle le situe le sujet dans la rencontre clinique, et cela ne dépend que très partiellement de lui.

Que le clinicien le veuille ou non, la question de la séduction est présente dans la rencontre clinique, dans toutes les rencontres cliniques, car elle est aussi un effet induit du processus transférentiel qui lui est consubstantiel.

Ce que le clinicien dit, fait, ne fait pas ou ne dit pas, est « interprété » par le sujet en fonction de la place transférentielle dans laquelle il a situé le clinicien.

Comme on n’échappe pas au transfert on n’échappe pas plus aux effets de séduction, de suggestion ou d’influence qu’il implique. Le problème n’est donc pas la séduction, elle est inévitable, et bien souvent à vouloir trop échapper à la séduction « libidinale », on produit une « séduction surmoïque », et vouloir échapper à tout prix à celle-ci fait souvent tomber alors dans la « séduction narcissique », etc.

On va de Charybde en Scylla en développant des modes de séduction toujours plus nocifs car toujours plus difficiles à démasquer et donc à dépasser. Le problème n’est pas la séduction elle-même, c’est celui de sa forme et de son utilisation.

Toute la question va être de transformer le transfert et les effets de séduction qui lui sont inhérents en une forme « utilisable » pour la pratique, et pour le travail de symbolisation qui la fonde, l’utiliser en vue de la « dépasser » (Aufbebung).

La question est donc celle de « l’utilisation de la séduction pour dépasser la séduction », celle d’utiliser l’aliénation potentielle liée à la situation transférentielle pour la dépasser, etc.

Tout le problème va donc être celui de la réponse que le clinicien va apporter au transfert sur lui de cette figure, que sa fonction appelle, « attracte » inévitablement. C’est-à-dire comment il va la faire travailler.

Déplacement du transfert

Face au processus transférentiel, trois alternatives se présentent au clinicien : le confirmer et l'aliéner (« je suis bien celui que vous croyez, j’ai la réponse à toutes vos questions, je « sais » ce qu’il vous faut pour ne plus souffrir, pour être aimé, pour réussir dans la vie… suivez mes conseils et tout ira pour le mieux), le démentir et l'enkyster (« je ne suis pas celui que vous croyez, vous vous abusez en me donnant un tel pouvoir, personne n’a un tel pouvoir, sauf peut-être vous-même, c’est vous qui savez… »), ou enfin le déplacer pour le faire travailler, pour lui permettre de le rendre utilisable.

C’est cette troisième issue que le clinicien va privilégier et tenter de mettre en œuvre et que nous allons commenter maintenant.

Quelles sont les « opérations », les « opérateurs » de ce déplacement ? Nous allons essayer de les suivre détail par détail en suivant le modèle inaugural et fondateur que Freud nous a légué à partir de sa découverte de la méthode dans l’hystérie, dans la mesure où il est archétypique.

La première opération constitutive de l’état d’esprit du clinicien, est celle d’un refus « muet », d’un refus interne, non formulé, refus d’occuper la position de celui qui possède les réponses « toutes faites » aux questions du sujet, refus de s’identifier à la figure transférentielle à qui elles s’adressent. L’invention du concept de transfert par Freud est ce qui a rendu possible cette première opération.

Ce refus est « muet », c’est une attitude interne, le refus formulé renverrait à ce que avons appelé plus haut le « démenti » du transfert. Le refus d’occuper la position de celui qui a les réponses, du répondant, n’est pas le refus du processus transférentiel du sujet, le rejet du transfert. Tout au contraire, le transfert est « accepté » et rien n’est dit ou fait pour en démentir d’emblée la pertinence, c’est pourquoi le refus est muet mais consubstantiel à l’état d’esprit du clinicien.

Freud a compris qu’une partie du rapport que les patients entretiennent avec lui résultait d’une « fausse liaison », du transfert d’un personnage historique sur le clinicien, il a compris que le transfert résulte du déplacement d’un pan de l’histoire du sujet sur « la situation actuelle » (1 914).

Ce refus premier implique aussi le renoncement à toute théorie préalable, il n’y a pas de savoir tout prêt portant sur le sujet, pas de réponse « toute faite » à la demande ou à l’appel du sujet.

Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de réponse à l’appel du sujet car il y a bien une réponse, mais elle se formulera en terme de méthode, de méthode d’exploration.

Le refus du savoir préalable suppose complémentairement une « clinique de la théorie », c’est-à-dire une analyse clinique de tout ce qui peut se donner au clinicien comme savoir tout prêt, tout fait.

Une autre manière serait de dire que l’attitude clinique combine deux opérations de fondement : refuser et ne pas refuser le transfert, le déplacer pour en faire un outil de travail, pour « creuser » un espace de symbolisation de la question.

La première opération est donc de se « défausser » du transfert, comme on dit dans certains jeux de cartes, on « passe », on ne « prend » pas. La seconde est d’ouvrir l’autre face du transfert, celle qui consiste à penser le transfert comme « réminiscence », comme une forme du retour d’événements ou de moments issus d’une époque antérieure de l’histoire du sujet, comme « mémoire méconnue comme telle », « mémoire amnésique » comme certains (C. Janin, 1 996 ; A. Green, 2 000) ont proposé de la nommer.

C’est une mémoire « inconsciente d’être une mémoire » qui se donne comme un processus « actuel », comme un présent à la place de se donner comme un souvenir.

Cette seconde opération ouvre à son tour la possibilité d’un processus tout à fait essentiel dans la pensée clinique. Si le transfert est « réminiscence », s’il est « reviviscence », alors le sujet, lui, doit bien posséder une forme de « connaissance » de ce qui se joue et se rejoue dans le transfert, il doit bien avoir conservé une trace de ce qui l’a affecté, d’une certaine manière il pressent à quoi il est de nouveau confronté, même « s’il ne sait pas qu’il sait ».

Il est important de souligner en effet que le clinicien considère que le « savoir » ou la forme de connaissance dont il est question sont inconscients, c’est aussi ce qui permet d’éviter de rester pris dans les arcanes d’une position dans le décours de laquelle le sujet est suspecté de « manipulation », comme s’il ne « voulait » pas, pas savoir, pas changer…

Le sujet est « méconnaissant », la « connaissance » qu’il a des origines et causes de ce qui le travaille est une connaissance inconsciente.

La question du « supposé savoir » est donc retournée dans la stratégie clinique, c’est le sujet et lui seul qui « sait » quelque chose concernant sa souffrance, qui est « supposé savoir », mais le retournement s’accompagne d’une négation qui désigne le caractère inconscient du processus et ouvre la question du sens de la pratique clinique et de la méthode qui l’organise.

C’est là un point fondamental dont l’oubli menace toujours le clinicien, et ceci d’autant plus que, l’expérience venant, il a tout lieu de commencer à penser « qu’il sait » maintenant.

L’oubli de cette donnée fondamentale de la position clinicienne est à l’origine de bien des déboires, de bien des impasses cliniques, on finit par oublier que c’est le sujet et lui seul qui « sait », on finit par ne plus l’écouter ou l’entendre, on finit par ne plus tenter que de vérifier ce que l’on croit savoir ou avoir compris, par penser que le sujet « résiste » à notre supposé savoir sur lui et sa souffrance ou ses impasses subjectives.

La question de la pratique clinique devient dès lors : comment per-mettre au sujet d’accéder à cette « connaissance » inconsciente ? C’est là, là seulement, que le clinicien a du répondant, c’est là qu’il possède une compétence, c’est-à-dire en matière de méthode.

La méthode ou comment avoir du « répondant » ?

Nous l’avons dit, se défausser ne suffit pas, il ne suffit pas de dénoncer le transfert pour le réduire, il faut pouvoir l’utiliser pour le travail psychique, à l’appel doit répondre un « savoir » : un répondant du côté de la méthode.

Le clinicien va être un expert en méthode pour essayer de faire advenir le « savoir non su » du sujet.

Et la pratique clinique sera celle de la mise en œuvre des méthodes qui vont permettre à ce sujet-là, compte tenu de son fonctionnement psychique singulier, compte tenu du contexte de l’appel, de sa forme, d’accéder à ce qui de lui le contraint de manière inconsciente, méconnue, voire activement méconnue.

Disons l’essentiel en une formulation : la stratégie fondamentale de la pratique clinique consiste à permettre que le transfert qui l’organise puisse être progressivement déplacé sur la méthode clinique, sur la méthode qui permet l’analyse du savoir non su du sujet, de son « savoir » inconscient.

Nous allons le voir en détail plus loin, la méthode, la méthode fondamentale, est celle de l’écoute de l’associativité du fonctionnement psychique du sujet, celle qui s’exprime à travers la règle de l’association libre.

C’est elle qui, sous différentes formes, organise tous les dispositifs cliniques, elle qui est sous-jacente non seulement à la rencontre clinique en « face à face » ou en « côte à côte » avec les adultes, elle qui sous-tend les consultations thérapeutiques, mais aussi l’utilisation du jeu ou du dessin libre chez les enfants, du « squiggle play », l’utilisation des techniques projectives, du jeu libre du psychodrame, des différentes formes de dispositifs utilisant des médiations…

Comme nous allons le voir dans les paragraphes suivants, s’il y a différents dispositifs, différentes méthodologies cliniques, il n’y a qu’une méthode clinique, qu’une méthode fondamentale, même si elle admet diverses formes, même si elle peut se décliner sous diverses variations.

Pas de clinique, de dispositif, sans méthode d’écoute, de recueil de signes, mais la méthode a ses contraintes, elle implique le sujet et le clinicien : contrainte de ce qu’on dit pour le sujet, contrainte de dire ou d’exprimer, contrainte à écouter et contrainte de ce qu’on écoute pour le clinicien.

À travers la méthode associative se met en œuvre la vectorisation de l’écoute clinique : on cherche à entendre ce que l’autre « sait », sans savoir qu’il le sait, concernant sa souffrance, on cherche entre et à travers les associations qu’il produit et la manière dont s’organise son fonctionnement psychique, quels liens inconscients « expliquent » ceux-ci.

Le « savoir » inconscient révélé par la méthode devient le dit non-délibéré, non-voulu, l’exprimé non-dicible, le senti non-senti, le vu non-vu… ce qui est à la fois présent dans la chaîne associative et absent de la conscience du sujet, ce qu’il exprime sous une forme ou une autre, sans savoir qu’il l’exprime, donc pour finir ce qui n’est pas réfléchi.

Le transfert de la question du « supposé-savoir » sur la méthode en transforme les données. Le clinicien propose un cadre pour accueillir l’énigme en souffrance, pour recevoir la question qu’elle porte, c’est le dispositif clinique, il propose une méthode pour l’explorer, et le dispositif contient alors tout ce qu’il faut mettre en œuvre pour rendre la méthode utilisable, tolérable et opérante, pour la mettre en acte, au travail.

Dispositif et méthode doivent donc être congruents. Le dispositif praticien tente de positiver la négativité à l’œuvre (et sa modalité inconsciente d’expression) pour la rendre saisissable, pour qu’elle produise des signes, des « signifiants » appréhendables, par le clinicien et par le sujet lui-même (appropriation subjective).

Les cliniciens sont les garants d’un dispositif par lequel le sujet va pouvoir se révéler, se « donner », à lui-même ce qu’il sait sans savoir qu’il le sait, « librement » et à son rythme propre.

L’ensemble de la pratique, de l’Éthique, de la déontologie est subordonné à cette tâche. L’intervention clinique dès lors va viser à maintenir les conditions de possibilités de l’utilisation du dispositif et de la méthode proposée, mais singulièrement pour ce sujet-là.

Il nous faut en venir maintenant en détail à la question de la méthode, au-delà de ce qui en est retenu habituellement.

L'associativité et le transfert sur la méthode

L’association libre, qui définit la règle fondamentale de la psychanalyse et, sans doute, c’est l’un des enjeux de ce paragraphe que de le montrer, de toute pratique clinique est apparemment bien connue et il peut paraître surprenant de lui consacrer un développement conséquent

Mais une exploration un peu approfondie de la littérature qui lui est consacrée convainc assez rapidement, au contraire, des limites de son approfondissement, comme si son évidence même avait freiné son exploration détaillée, comme si elle allait tellement de soi maintenant qu’il n’était plus besoin d’en approfondir, non seulement la théorisation, mais la description elle-même.

En tout état de cause fonder l’ensemble de la pratique clinique sur l’associativité, comme nous le projetons, implique qu’elle soit suffisamment explorée pour que sa généralisation emporte la conviction.
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René Rousillon - Professeur de psychologie et de psychopathologie, université Lyon II.
Manuel de la pratique clinique en psychologie et psychopathologie - Elsevier Masson.


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