La théorie de l’attachement : l’histoire et les personnages

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La théorie de l’attachement : l’histoire et les personnages

Pascal Patry astrologue et thérapeute à Strasbourg 67000
Publié par Pascal Patry dans Psychothérapie · 14 Mars 2023
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La théorie de l’attachement : l’histoire et les personnages

Ce qui suit retrace le contexte historique de l'avènement de la théorie de l'attachement, de ses principales lignes de développement - la Situation étrange de Mary Ainsworth, l’Adult Attachment Interview (AAI) de Mary Main - et des applications thérapeutiques du concept d'attachement.

C'est un aperçu, nécessairement incomplet, des aspects et des polémiques apparus depuis une vingtaine d'années autour de cet extraordinaire progrès scientifique dans le champ de la psychologie du développement, de la psychopathologie et de la thérapie.

Contexte : guerre, séparation, carence de soins maternels

C'est après la Seconde Guerre mondiale que se cristallisent la question de la perte et de la séparation chez le jeune enfant et celle de leurs effets sur son développement.

Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la guerre n'épargne pas les populations civiles et prend aussi pour cible les femmes et les enfants.

On peut voir un souci de réparation dans la prise en compte, après la guerre, des effets de la séparation précoce et dans l'avène­ment de la théorie de l'attachement. Cependant, la question du caractère primaire de l'attachement avait déjà été soulevée par un certain nombre de précurseurs.

En Europe, on peut citer d'abord Himre Hermann (1972), compatriote de Ferenczi, qui défend l'idée d'un besoin primaire d'agrippement, en référence aux primates, dans une perspective très moderne pour l'époque d'utilisation des données éthologiques dans la compréhension du développement affectif.

Ian Sutie, un psychiatre écossais, évoque luiaussi le caractère primaire de rattachement mère-enfant, mais son audience reste limitée ; celle du psychanalyste anglais Fairbairn est plus large et plus durable, et il est le premier à proposer un abandon de la théorie des pulsions, ce qui n'a pas manqué d'influencer Bowlby.

Il existe donc tout un groupe de psychanalystes anglais qui défendent, dès l'avant-guerre, une opinion qui va à rencontre de la théorie de l'étayage, et qui se retrouvent pour la plupart dans le groupe des Indépendants britanniques, comme ce fut le cas pour Balint, autre psychanalyste anglais d'origine hongroise, auteur du concept d'amour primaire.

En Angleterre aussi, Anna Freud et Dorothy Burlingham vont décrire les effets terribles de la séparation durable chez les très jeunes enfants, lors du Blitz de Londres.

À cette occasion, Anna Freud parlera d'un besoin primaire d'attachement et de la nécessité de le respecter, plus encore que de protéger l'enfant des bombes. Après la guerre, Anna Freud dira à Bowlby qu'« il eût mieux valu que chacune des puéricultrices prenne un enfant chez elle, et que l'on ferme la nursery » (Karen, 1998, p. 62).

Aux États-Unis se développe au même moment un intérêt pour ce que l'on appelle alors les effets de l'institutionnalisation, c'est-à-dire de l'élevage de jeunes enfants en collectivité, séparés de leurs parents. David Levy, Sally Provence, Lauretta Bender et bien sûr René Spitz en dénoncent les effets et rencontrent d'ailleurs des réactions violentes de déni quand ils les évoquent.

John Bowlby

John Bowlby naît en 1907, dans un milieu aisé, mais peu attentif affective­ment. Il interrompt ses études de médecine pendant un an pour travailler dans une institution du type de Summer Hill, dans le Norfolk, où, sous l'influence du directeur, John Alford, un vétéran de la Première Guerre mondiale ayant aussi fait l'expérience de la psychanalyse, il observe les liens entre les troubles du comportement et l'histoire des enfants. Il commence en 1929 une analyse de sept années avec Joan Rivière, proche de Mélanie Klein, mais qui ne semble pas avoir exercé une profonde influence sur lui (Holmes, 1993).

En 1938, une supervision avec Mélanie Klein elle-même tourne court, la mère du jeune patient étant hospitalisée pour dépression. L'absence d'intérêt de Klein pour l'état de la mère et son rôle possible dans les troubles du garçon scandalise Bowlby.

À la même période, Mélanie Klein lui demande alors d'analyser son fils, ce que Bowlby acceptera, mais en résistant à l'insistance de Klein pour superviser cette analyse. La guerre survient, qui évite une confrontation directe, laquelle n'en sera ensuite que plus dure.

Bowlby s'occupe, avec Winnicott, du suivi des enfants placés à la campagne. En 1944, il publie son étude sur « 44 jeunes voleurs, leur person­nalité et leur vie de famille ». En 1951, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) lui demande un rapport sur les enfants sans famille, un problème majeur dans l'Europe de l'après-guerre.

Bowlby part pour le continent et les États-Unis. Il visite et rencontre entre autres Myriam David et Geneviève Appel, seules Françaises avec Jenny Aubry à être citées dans son rapport Maternai Care and Mental Health. Il y insiste sur l'abondance des faits étayant les effets de la carence de soins maternels, qui donne lieu ultérieurement à des relations affectives superficielles, à une absence de concentration intellectuelle, à une inaccessibilité à l'autre, au vol sans but, à l'absence de réaction émotionnelle.

L'impact du rapport fut énorme. Il rendit Bowlby célèbre et le plaça aussi au centre de la polémique, avec les féministes, avec les personnels hospitaliers et avec ses collègues psychanalystes.

En 1946, Bowlby travaille à la Tavistock Clinic de Londres où il engage James Robert son, un travailleur social en formation analytique, pour faire l'observation des effets de la séparation en milieu hospitalier.

C'est Robertson qui décrit les trois phases évolutives de la séparation durable chez le jeune enfant : protestation, désespoir et détachement. Le film sur Laura, en 1952, A Two Years Old Goes to Nursery, est accueilli avec suspicion, tant par Klein ou par Bion que par les pédiatres, mais il bouleverse beaucoup de pro­fessionnels ; il conduira progressivement à une prise de conscience et à la modification des pratiques hospitalières. En 1969, John Goes to Nurseiy n'est cependant pas mieux reçu, et les dénégations sont vives quant aux effets de la séparation.

La Société britannique de psychanalyse est alors en plein conflit entre les partisans d'Anna Freud et ceux de Mélanie Klein. Bowlby est tenu à l'écart et durement critiqué pour sa remise en cause radicale de la théorie des pulsions et pour avoir cherché ses modèles dans la cybernétique, les sciences cognitives et l'éthologie, et non dans la métapsychologie.

Mary Salter Ainsworth et la Situation étrange

C'est une psychologue canadienne qui va donner à la théorie de l'attachement de Bowlby un prolongement expérimental et une audience scientifique consi­dérable.

Peu de situations expérimentales peuvent prétendre avoir joué un tel rôle paradigmatique et exercé une telle influence. Mary Salter Ainsworth naît en 1913, dans un foyer stable, mais qu'elle décrira comme émotionnellement troublé.

Elle apprend à lire à 3 ans et rentre à 16 ans à l'université de Toronto. C'est là qu'elle apprend de William Blatz la théorie de la sécurité, qui permet à l'enfant d'explorer le monde, et elle en fera le sujet de sa thèse. Elle suit son mari à Londres et y répond à l'annonce de Bowlby à propos d'une recherche sur la séparation.

Engagée sur-le-champ, elle admire le travail de Robertson. Elle aide Bowlby à répondre aux attaques sur la théorie de l'attachement et sur les effets de la séparation précoce prolongée.

En 1954, elle part avec son mari en Ouganda, à Kampala, et y commence, sans aucun moyen, une étude d'observation en milieu naturel de vingt-huit bébés non sevrés, dans les villages alentour.

Elle obtient une petite bourse et cherche à préciser les effets de la séparation et du sevrage : la séparation est-elle en elle-même traumatique ou cela dépend-il de la carence relation­nelle antérieure ? Son observation la convainc de la justesse des thèses de Bowlby sur le caractère primaire de l'attachement.

Le livre Infancy in Uganda (publié seulement en 1967) est le premier à proposer un schéma de déve­loppement de l'attachement, en cinq phases, et c'est alors qu'elle propose le concept de base de sécurité (Secure Base). Elle rentre aux États-Unis, à Baltimore, où en 1960 Bowlby lui rend visite et se rend compte de l'impor­tance de cette étude en milieu naturel comme support de sa théorie.

À Baltimore, Ainsworth pense à reprendre l'étude ougandaise de façon plus systématique, avec vingt-six familles. Cherchant à comparer les deux populations, elle se souvient d'un article de 1943 de Jean Arsenian (Young Children in an Insecure Situation), à propos d'une situation de jeu libre en présence et en l'absence de la mère. Elle propose alors une situation stan­dardisée en sept épisodes de séparation et de réunion, qui aura le succès que l'on sait, le plus grand sans doute en psychologie du développement.

La mise en œuvre de cette situation lui permet de décrire trois types prin­cipaux de réactions à la Situation étrange. Ses études très détaillées des relations mère-enfants lui donnent l'intuition de la relation entre ces caté­gories d'attachement et le style de maternage correspondant.

Inge Bretherton, Everett Waters et surtout Alan Sroufe sont des élèves ou des continuateurs d'Ainsworth en Amérique et responsables de l'étude de l'attachement dans le Minnesota. Cette étude longitudinale montre les cor­rélations de l'attachement sécure avec les relations aux pairs et avec la capa­cité d'ajustement aux exigences du milieu scolaire.

En 1974, Byron Egeland commence une autre étude longitudinale avec un échantillon de deux cent soixante-sept jeunes femmes enceintes de milieu défavorisé. Les études du Minnesota montrent la puissante influence prédictive de la sécurité de l'atta­chement précoce sur le développement social ultérieur et la personnalité de l'enfant.

Cette valeur prédictive donne, aux États-Unis et en Angleterre du moins, un impact considérable à la théorie de l'attachement, qui devient un paradigme reconnu et un sujet de recherche extrêmement actif.

Mary Main et l'Adult Attachment Interview

À Berkeley, en Californie, une élève d'Ainsworth, Mary Main, va être à l'origine d'un autre développement majeur : le Berkeley Adult Attachment Intemew. L'étude de Berkeley, lancée en 1982 par Main, concernait qua­rante familles de niveau social moyen dont les enfants furent suivis de la naissance à l'âge de 6 ans.

Dans l'équipe, Kaplan étudie les réponses des enfants à la séparation, évoquée par des photos (le Séparation Anxiety Test, SAT) (Bretterton, 1995). Cassidy, Main et Goldwyn s'occupent des trans­criptions et du codage des entretiens avec les parents.

Bientôt, Main et Goldwyn sont frappées par les correspondances entre la classification de la sécurité de l'enfant, évaluée par la Situation étrange, et les récits des parents. Là encore, c'est un nouvel instrument, Y Adult Attachment Intemew (AAI), construit par George, Kaplan et Main, qui va ouvrir une nouvelle dimension de la recherche et permettre d'interroger désormais le niveau des représentations.

C'est en effet l'analyse du discours, plus que le contenu, qui permet de classer les récits sur les expériences d'attachement en « autonomes » ou « insécures », ou, plus tard, comme dans la Situation étrange, en représentations dites « désorganisées ».

Les élèves de Main vont jouer un rôle important pour développer et appliquer l'AAI à l'étude de la psychopathologie de l'enfant et de l'adulte ainsi qu'à celle de la transmis­sion intergénérationnelle de l'attachement.

Développements et polémiques

La théorie de rattachement est dès lors sortie de l'espace géographique de l'Angleterre et des États-Unis. Elle va également puiser dans d'autres théories scientifiques, se dégageant de ses liens initiaux avec l'éthologie, les sciences cognitives et la théorie de l'information.

Elle se développe remarquablement en pays de culture anglo-saxonne et beaucoup moins en pays de culture latine, du moins dans ceux où l'influence psychanalytique est forte, sauf peut-être en Italie.

Mais ce développement n'est pas facile et s'émaille de remises en ques­tions, de retours en arrière et de polémiques. Il est également pour Bowlby et sa théorie l'occasion de nouvelles validations, de développements et aussi de reconnaissance par ses pairs.

Ce fut le cas avec la revue exhaustive et cri­tique de Michael Rutter (1972) sur la théorie de l'attachement et le concept de carence maternelle, qui conclut à sa validité. La Société britannique de psychanalyse offre à Bowlby un hommage posthume et reconnaît et regrette, dans une séance émouvante, mais encore conflictuelle, son attitude d'exclu­sion face à la théorie de l'attachement (Rayner, 1990).

En France, le débat s'ouvre grâce au « Colloque imaginaire », organisé par René Zazzo (1979), auquel participent, parmi les psychanalystes, Daniel Widlôcher, plutôt parti­san des thèses de Bowlby et qui proposera plus tard lui aussi un abandon de la théorie des pulsions, Serge Lebovici, plus ambivalent, mais qui reconnaît le caractère novateur de la théorie et l'intérêt des modèles éthologiques, et Didier Anzieu qui proposera sa théorie du moi-peau et l'idée d'une pulsion d'atta­chement.

Aux États-Unis, cependant, le débat est vif, avec des critiques sur la validité de la Situation étrange (Lamb, Kagan), avec les milieux féministes sur la question de la place de la mère et enfin à propos des effets de la crèche sur la sécurité de l'attachement des enfants.

Ce débat oppose vivement Jay Belsky (2001) et Sandra Scarr. Il s'apaise, de façon relative, après une large étude du National Institute of Mental Health (NIMH) qui va dans le sens de l'innocuité du mode de garde collectif vis-à-vis de la sécurité de l'attachement ; mais l'étude ne concerne évidemment que les crèches de bonne qualité.

Un autre débat concerne la validité transculturelle du concept d'attachement, la valeur adaptative de l'attachement et l'empreinte de la culture sur ses systèmes d'attachement, et sur les soins qui lui sont donnés (caregiving environment).

Au total, la théorie de rattachement apparaît bien comme le concept clef de la seconde moitié du XXe siècle en psychopathologie et en psychologie. Il est né dans la violence des séparations et des carences précoces, au croise­ment des apports de la psychanalyse, de l'éthologie, des sciences cognitives, de l'informatique et de la cybernétique avec ceux de l'observation, de la reconstruction et de la mise en récit.

Peu de théories ont eu un tel impact et une telle capacité de stimuler la recherche, une telle valeur prédictive sur des aspects majeurs du comportement social et relationnel de l'enfant, une telle puissance d'explication des phénomènes de transmission entre généra­tions, une telle capacité à remodeler la conception de la psychopathologie et une telle dynamique d'évolution.

Son inventeur John Bowlby apparaît ainsi comme l'un des esprits les plus féconds de la psychopathologie du XXe siècle. Peu de cliniciens après Freud auront laissé une telle empreinte et auront eu une telle influence sur la pensée et les attitudes vis-à-vis de la petite enfance, de la séparation, du deuil et des liens interindividuels.

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Source : A. Guédeney, pédopsychiatre, praticien hospitalier, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, 10e Intersecteur de Psychiatrie Infanto-Juvénile de Paris, hôpital Bichat-Claude-Bernard, université Diderot-Paris VII.

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Références

Belsky, J. (2001). Developemental risks (still) associated with early child care. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 42, 845-860.

Bowlby, J. (1944). Fourty-four juvenile thieves : their character and home life. Inter­national Journal of Psychoanalysis, 25, 107-127.

Bowlby, J. (1951). Maternai care and mental Health. Genève : World Health Organization monograph sériés.

Bowlby, J. (1988). Developmental psychiatry cornes of âges. American Journal ofPsychiaùy, 145, 1-10 (Traduction : Pollack-Cornillot, M. Devenir, 1992, 4, 7-31).

Bretherton, I. (1995). The origins of attachment theory : John Bowlby and Mary Ainsworth. In S. Goldberg, R. Muir, & J. Kerr (Eds.), Attachment theory. Social, developmental and clinical perspectives. New York : The Analytic Press.

Hermann, H. (1972). Les instincts archaïques de l'homme. Paris : Denoël.

Holmes, J. (1993). John Bowlby & Attachment Theory. Londres : Routledge.

Karen, R. (1998). Becoming attached. New York : Oxford University Press.

Rayner, E. (1990). The independent mind in British psychoanalysis. Londres : Free Association Books (Traduction : Wieder, C. (éd.). Paris : PUF ; 1994).

Rutter, M. (1972). Maternai deprivation reassessed (2e édition). Londres : Penguin Books. Zazzo, R. (1979). Le colloque sur rattachement (2e édition). Neuchâtel, Paris : Delachaux & Niestlé.




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Pascal Patry
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